6 questions au MFFP et au ministre Dufour

14 Fév. 2019

Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a été au cœur de plusieurs changements survenus dans la gestion forestière. Le ministre PIERRE DUFOUR et l’équipe du ministère ont accepté de répondre à six questions pour dresser le portrait de l’évolution de la foresterie au Québec depuis les 20 dernières années.

Propos recueillis par Marie-Claude Boileau

1 — Quels sont les principaux changements survenus au sein du gouvernement et du MFFP par rapport aux forêts publiques québécoises depuis 20 ans?

Dans sa gestion des forêts publiques québécoises, le Ministère cherche constamment à s’améliorer, à faire évoluer les pratiques en s’appuyant sur les nouvelles connaissances acquises. L’aménagement durable des forêts est au cœur du régime forestier québécois depuis 1996. Le gouvernement a à cœur la gestion de la forêt, cette ressource renouvelable qui joue un rôle écologique majeur et contribue à la vitalité des collectivités du Québec.

Avant même la diffusion de L’Erreur boréale, des changements se sont opérés dans la gestion des forêts du Québec ou étaient en voie de l’être. La diffusion de L’Erreur boréale en 1999 a parfois accéléré la mise en place de changements, parfois provoquée des remises en question de certaines façons de faire.

De multiples évolutions ont été apportées au régime forestier québécois, le plaçant parmi les plus rigoureux au monde. Parmi les principaux changements apportés au régime forestier depuis vingt ans, notons :

– L’amélioration de la participation du public et de la prise en compte des intérêts et des préoccupations des personnes et organismes concernés par les activités d’aménagement forestier planifiées;

– Le maintien et l’amélioration des relations avec les communautés autochtones;

– La création du poste de Forestier en chef à qui est confiée la responsabilité de déterminer les possibilités forestières des forêts publiques québécoises;

– L’implantation de l’aménagement écosystémique comme approche d’aménagement forestier, lequel permet d’assurer le maintien de la biodiversité et la viabilité des écosystèmes en diminuant les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle;

– L’instauration d’un marché libre des bois pour établir une juste valeur marchande des bois.

Par ailleurs, les vingt dernières années ont été marquées par une refonte en profondeur du régime forestier québécois par l’adoption en 2010 de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, venu remplacer la Loi sur les forêts en vigueur depuis 1986. La Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier confirme les engagements du gouvernement en matière d’aménagement durable des forêts et mise notamment sur l’aménagement écosystémique et sur une gestion intégrée et régionalisée des ressources et du territoire.

D’ailleurs, cette loi forestière a introduit de nombreux changements dans la gestion des forêts québécoises. Par exemple, les responsabilités relatives à la planification forestière intégrée et à la réalisation des activités d’aménagement forestier sur le territoire forestier du domaine de l’État sont confiées au ministre.

Elle a également modifié les modes d’attribution des droits forestiers et a instauré un marché libre des bois. En décembre 2015, la Stratégie d’aménagement durable des forêts (SADF) est rendue publique. Elle expose la vision retenue par le Ministère en matière d’aménagement durable des forêts et énonce des orientations et des objectifs s’appliquant aux territoires forestiers, notamment en matière d’aménagement écosystémique. Elle constitue en fait la base de tout instrument lié à l’aménagement durable des forêts.

Le Règlement sur l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État (RADF) est entré en vigueur le 1er avril 2018. Dernier jalon de la mise en œuvre de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, il permet d’actualiser la règlementation selon les nouvelles connaissances forestières et les changements dans les pratiques forestières. Les normes du RADF ont pour principal objet d’assurer le maintien ou la reconstitution du couvert forestier, la protection des milieux forestiers, aquatiques et humides et la conciliation des diverses activités se déroulant dans les forêts du domaine de l’État.

Le Ministère a mis en place un précieux outil pour la mise en œuvre du régime forestier : le système de gestion environnementale et d’aménagement durable des forêts certifié ISO 14 001. Ce système permet au MFFP de réduire les impacts de ses activités d’aménagement forestier sur l’environnement et l’aménagement forestier durable par la mise en place, dans toutes les régions du Québec, de mécanismes de gestion rigoureux.

2 — Comment les pratiques forestières en forêt publique au Québec ont-elles évolué ?

L’implantation de l’aménagement écosystémique a contribué à modifier les pratiques forestières : il a notamment apporté des changements dans le choix des types de coupe à appliquer et également dans leur répartition sur le territoire. En forêt boréale, cela a nécessité la diversification des traitements de récolte forestière. La coupe avec protection de la régénération et des sols (CPRS) a remplacé la coupe totale et demeure le traitement le plus fréquent, ce type de forêt étant régie par des perturbations qui peuvent s’étendre sur de grandes superficies (feux, épidémie). Des legs biologiques sont laissés dans plusieurs parterres de coupe afin de maintenir les rôles écologiques des forêts perturbées.

Le recours aux coupes progressives irrégulières (CPI) et à des traitements de coupe avec protection de la haute régénération et des sols (CPHRS) ou de coupe avec protection des petites tiges marchandes (CPPTM) a augmenté dans les peuplements qui se prêtent à ces types de coupe. Le recours à des traitements de récolte misant sur la régénération préétablie et aux traitements d’éducation des jeunes peuplements a permis de diminuer le délai de régénération tout en favori- sant le choix des essences désirées.

L’ajout de reboisement dans les sentiers de débardage a aussi contribué à diminuer l’enfeuillement. La mécanisation, la généralisation des abatteuses multifonctionnelles et le passage à des systèmes de récolte à bois court, qui ont remplacé les systèmes à bois long ou arbre entiers, ont permis de mieux protéger la régénération établie, de diminuer l’orniérage et la perturbation des sols (com- pactage, décapage).

Dans le contexte des forêts mixtes ou feuillues, les pratiques ont également évolué. Pour ce qui est du jardinage, les méthodes de choix des tiges à récolter ont beaucoup évolué au cours des vingt dernières années. L’utilisation de la méthode basée sur les défauts des tiges (MSCR) a permis une phase d’assainissement des peuplements feuillus, dont plusieurs avaient fait l’objet de coupes à diamètre limite visant les plus beaux sujets par le passé.

Puis, les recommandations du Comité sur les impacts des modalités opérationnelles des traitements en forêt feuillue (CIMOTFF) sont venues améliorer encore le choix des tiges et ont mis en lumière l’importance d’assurer la régénération des essences désirées et la promotion des tiges d’avenir lors du jardinage. L’introduction de la coupe progressive irrégulière (CPI) a diversifié les traitements possibles dans les peuplements n’ayant pas une structure jardinée et devient une option pour réhabiliter les peuplements de moindre qualité. Leur qualité moindre peut dépendre de leur historique (coupes d’écrémage, ou coupe ou perturbation naturelle mal régénérée) ou encore que le potentiel du site ne permet pas de maintenir une structure jardinée amenant une quantité suffisante d’arbres à maturité en même temps pour soutenir une coupe cyclique avec une rotation pas trop longue.

L’entrée en vigueur du RADF en 2018 a également modifié les pratiques forestières en forêt publique québécoise. Celui-ci est le résultat de l’évolution des modalités d’intervention forestière vers des normes axées sur l’aménagement durable des forêts afin de tenir compte des aspects environnementaux, sociaux et économiques liés à la forêt. Il a permis d’actualiser la règlementation selon les nouvelles connaissances forestières et les changements dans les pratiques forestières.

3 — Comment se compare-t-on aux autres pays forestiers ?

Dès 1994, par l’adoption de la Stratégie de protection des forêts, le Québec a fait le choix de miser sur la dynamique naturelle de ses forêts comme approche d’aménagement forestier. Alors que certains états ont opté pour des approches donnant préséance à la productivité des écosystèmes forestiers, le Québec a fait le choix audacieux de mettre de l’avant une approche d’aménagement qui permet le maintien du caractère naturel de ses forêts.

Encore aujourd’hui, ce choix confère au Québec un statut distinctif parmi d’autres états forestiers dans le monde. Dans cette même optique, alors que les phytocides sont utilisés ailleurs au Canada, leur usage est interdit en forêts publiques au Québec depuis 2001. Le régime forestier québécois et son cadre légal et réglementaire rigoureux contribuent favorablement à la certification des territoires forestiers sous aménagement.

Près de 90 % des forêts publiques québécoises sous aménagement sont certifiées selon un des systèmes de certification forestière en vigueur, soit le Forest Stewardship Council (FSC) ou le Sustainable Forestry Initiative (SFI). Ce taux de certification est parmi les plus élevés au monde. Toutes les activités d’aménagement forestier planifiées doivent être réalisées par des entreprises d’aménagement détenant les certificats reconnus par le ministre.

Les certificats actuellement reconnus sont la norme ISO 14 001 et le Programme de certification des entreprises en aménagement forestier (CEAF) du Bureau de normalisation du Québec (BNQ). Ces certificats permettent aux entreprises de démontrer la maîtrise des impacts environnementaux de leurs propres activités sur le territoire. Cette exigence vient appuyer le MFFP dans la mise en œuvre du nouveau régime forestier. Il s’agit également d’un moyen d’harmoniser les pratiques à la grandeur du territoire forestier québécois, d’uniformiser les standards de réalisation des opérations et de faciliter les communications entre le Ministère et ses collaborateurs.

4— Est-ce que les acteurs qui œuvrent dans les forêts publiques sont mieux outillés qu’il y a 20 ans?

De manière générale, les technologies à la disposition des acteurs œuvrant dans le secteur forestier se sont grandement développées au cours des vingt dernières années. Les connaissances acquises de la recherche scientifique ont en outre permis de faire évoluer les pratiques et d’élaborer de nouvelles approches d’aménagement forestier.

La Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier a introduit de nombreux changements dans la gestion des forêts québécoises, notamment en ce qui concerne les responsabilités relatives à la planification forestière intégrée et à la réalisation des activités d’aménagement forestier sur le territoire forestier du domaine de l’État qui sont confiées au ministre.

Les équipes régionales du MFFP sont responsables de l’élaboration des plans d’aménagement fores- tier intégré (PAFI), ce qui permet de rapprocher la prise de décision des gens qui vivent de la forêt et de voir à une mise en valeur des ressources forestières plus dynamiques tenant compte de leur réalité propre. Ces plans se réalisent en collaboration avec la Table locale de gestion intégrée des ressources et du territoire (TLGIRT) dans le but d’assurer une prise en compte des intérêts et des préoccupations des personnes et organismes concernés par les activités d’aménagement forestier planifiées.

Les ingénieurs forestiers qui conçoivent les plans d’aménagement forestier intégré disposent de divers outils, guides et technologies pour les appuyer dans leur travail. La publication du Guide sylvicole du Québec a considérablement amélioré la méthode d’élaboration des prescriptions sylvicoles. Il fournit une information détaillée qui permet aux ingénieurs forestiers d’exercer plus de latitude professionnelle et de varier les traitements en fonction des objectifs d’aménagement écosystémiques.

Depuis 2015, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs acquiert de l’information en données LiDAR sur l’ensemble du Québec méridional et devient un chef de file en matière d’acquisition et de traitement d’informations issues de cette technologie. Grâce à la grande précision du LiDAR, l’exactitude des interprétations cartographiques et des portraits statistiques est améliorée rendant ainsi les produits plus précis et fiables. Les interventions forestières pourront ainsi être mieux planifiées et réalisées.

5— Dans un contexte de changements climatiques, quel rôle joue le gouvernement et particulièrement le MFFP afin de voir au maintien des forêts puisqu’elles ont un rôle économique à accomplir ?

Les changements climatiques auront des impacts sur les forêts du Québec. La vitesse à laquelle sur- viendront ces changements pourrait affecter la santé des forêts et leur productivité. Ainsi, l’adap- tation des forêts aux changements climatiques consiste à ajuster les pratiques forestières pour diminuer les effets négatifs anticipés et saisir les occasions qui vont résulter des changements climatiques.

L’aménagement écosystémique des forêts, qui est au cœur du régime forestier québécois depuis l’adoption de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier en 2010, favorise la prise en compte des effets des changements climatiques sur les forêts puisqu’il vise à maintenir et à restaurer des écosystèmes plus résilients face aux perturbations à venir.

Le Guide sylvicole du Québec tient compte de la sensibilité de certaines essences à des conditions climatiques qui peuvent devenir plus fréquentes sous l’influence des changements climatiques. Par exemple, en Outaouais, l’utilisation du pin gris est limitée à certains territoires, car cette essence est jugée mal adaptée à des conditions climatiques qui deviennent plus fréquentes. Aussi, toujours en Outaouais, lors de la sélection de sites pour l’aménagement intensif du bouleau jaune, une attention particulière est portée aux risques de sécheresse puisque cette essence est particulièrement sensible aux stress hydriques.

Par ailleurs, le Ministère élabore une stratégie d’adaptation des forêts aux changements climatiques pour mars 2020. Actuellement, le MFFP met en œuvre des actions de manière à considérer l’impact des changements climatiques dans la gestion des forêts. L’intégration des mesures d’adaptation dans les orientations débutera avec les plans d’aménagement forestier 2023-2028 et se poursuivra dans les plans 2028-2033. Des analyses de vulnérabilité des forêts aux changements climatiques seront effectuées afin d’identifier les principaux risques à l’échelle régionale. Des mesures d’adaptation seront définies en considérant les meilleures informations disponibles provenant de la recherche forestière.

Enfin, une analyse des systèmes de suivi en milieu forestier sera réalisée dans le but d’assurer la capacité de détection des effets des changements climatiques. Les plantations sont appelées à jouer un rôle croissant en tant qu’outil d’adaptation des forêts aménagées aux changements climatiques. Le Ministère mène notamment des travaux de recherche pour aider à mieux choisir les sources génétiques utilisées pour chaque site de reboisement.

Un exemple de ces travaux concerne la migration assistée qui consiste à effectuer la plantation sur un site donné de plants de provenances méridionales, déjà adaptés à un climat plus chaud, pour augmenter la capacité d’adaptation des forêts au climat futur.

6— Qu’est-ce que vous pensez du travail des ouvriers forestiers, et ce, à tous les niveaux: abatteur, ingénieur forestier, opérateur de machinerie, etc., dans le contexte actuel général de la foresterie québécoise ?

Au cours des vingt dernières années, le secteur forestier a été confronté à de nombreux bouleversements. Dans ce contexte, les hommes et les femmes qui œuvrent dans le milieu forestier ont fait preuve d’une grande résilience. Les travailleurs du secteur forestier ont à cœur de cultiver les forêts du Québec de manière durable et peuvent être fiers d’œuvrer dans ce secteur d’activité.

Le domaine forestier, bien qu’il ait contribué à bâtir le Québec d’aujourd’hui et qu’il fasse partie de notre histoire, est d’autant tourné vers l’avenir. Les nouvelles technologies utilisées pour assurer l’aménagement durable des forêts et les innovations dans l’industrie de la transformation du bois illustrent bien la vitalité et le dynamisme de ce secteur d’activité.