Entrevue avec Laurent Lessard

Laurent Lessard, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) lors de son passage au congrès du CIFQ le 15 mai dernier.
Photo: courtoisie CIFQ
L’élection du Parti libéral à la tête du gouvernement du Québec amène divers changements dans l’appareil gouvernemental comme la création d’un nouveau ministère, celui des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) que le député de Frontenac, LAURENT LESSARD, gèrera. Entré en poste récemment, Le Monde Forestier s’est entretenu avec le ministre à propos de certains dossiers.
Quelles suites donnerez-vous au Rendez-vous sur la forêt québécoise tenue en novembre dernier?
Notre feuille de route a été tracée nécessairement par cet événement-là. On a pris des engagements, des chantiers ont été créés. Dans le fond, ça devient mon «road test», c’est-à-dire que je vais essayer de traduire l’ambition derrière le Rendez-vous sur la forêt, et ce, dans toutes ses déclinaisons. Lors du congrès de la CIFQ, j’ai eu, à cette occasion, l’opportunité d’assister à la présentation des chantiers et de rencontrer leurs présidents, M. ROBERT BEAUREGARD, Mme PAULE TÊTU et M. MICHEL BELLEY. Ils seront convoqués prochainement pour connaître vers où on s’en va et les choix à faire.
Les chantiers se poursuivent-ils?
Ils continuent leur travail. La rencontre permettra entre autres de déterminer les échéanciers des travaux. M. Belley semble être allé rapidement. Pour celui de Mme Têtu, on n’attendra pas la fin de ses travaux puisqu’il s’agit d’améliorer en continu. Il faut établir la façon de procéder pour que le régime forestier profite de tous les changements favorables à l’amélioration du régime et de la productivité ainsi que la diminution des coûts des opérations pour l’ensemble de la chaine.
Comment voyez-vous l’avenir de la forêt québécoise à court terme? Croyez-vous que ce sera positif ou que l’on retombera en crise?
Nous sommes tributaires de ce qui se passe du côté des États-Unis. Ce sont eux qui nous ont amenés dans une récession : la bulle immobilière a explosé ce qui a provoqué une crise financière, politique, voire internationale, et, par conséquent, l’arrêt de la production québécoise pour le service dans la construction américaine, puisque notre marché est principalement là. Plusieurs indicateurs économiques nous laissent penser à une reprise. Actuellement, il y a une embellie du côté des États-Unis. Le nombre de mises en chantiers a dépassé les 900 000. On sait qu’il y a un seuil critique de 1,2 million de chantiers qui amènent une effervescence dans les chantiers de notre côté.
L’augmentation de la valeur du bois est un bon indicateur aussi pour le bois ouvré. De plus, la baisse assez rapide du dollar américain, de la devise par rapport au dollar canadien, nous remet dans une séquence favorable aux exportations. Par ailleurs, ils ont fait le ménage du côté des États-Unis dans l’immobilier toxique, c’est-à- dire ce qui a été surfinancé. Il y a également une croissance économique accompagnée d’une croissance de l’emploi. Tous ces indicateurs nous permettent de croire qu’il y aura une demande pour nos produits de construction. Ça fait longtemps, ça fait du bien.
Mais nos entreprises sont restées fragiles de ça. L’embellie ne se convertit pas en enthousiasme, ils sont prudents. Mais on constate que les indicateurs tiennent. C’est un meilleur environnement. Les industries ont procédé à des changements. Le tiers des papetières sont en conversion pour produire du papier spécialisé ou du carton, par exemple. C’est intéressant de voir les choix que les entreprises ont dû faire pour créer une valeur ajoutée à la fibre bois. Aujourd’hui, on parle du bois plastique. Toute l’industrie automobile est visée. À partir de la cellule de fibre de bois, on pourrait donner des renforts en polymères et faire en sorte que les automobiles soient construites de fibre de bois. Les tissus, avec la rayonne, le bioraffinage, la biomasse industrielle, la cogénération, ce sont tous des mots qui parlent de l’avenir. Ça génère de l’ambition, de la fierté, et certainement de la continuité. Ça envoie le message à ceux qui avaient délaissé les professions liées à la forêt à s’y intéresser de nouveau. Les gens regardent dans la même direction, c’est-à-dire une forêt qui est en croissance pour les 4 à 6 prochaines années.
Comment doit-on favoriser l’innovation? Des idées?
Le Rendez-vous de la forêt en a quand même donné plusieurs. Actuellement, il y a des projets pilotes, la nanocellulose cristalline, dont ses applications seront certainement multiples et dans différents produits. Honnêtement, j’espère, un jour, combattre le fait que les technologies de l’information aient remplacé le papier journal et d’impression. Quand, en fait, un jour, la fibre de bois deviendra une bonne partie de toutes les composantes de la téléphonie cellulaire et informatique. On est capable, il y a de la place pour ça. Je souhaite que les boîtiers en plastique soient faits de composantes qui proviennent de la forêt.
Votre ministère a changé de nom, est-il toujours responsable de la biomasse? Quelle importance cette filière a à vos yeux?
Je suis responsable de la biomasse. Celle-ci doit servir à deux choses. Premièrement, elle doit servir à régénérer la forêt, le couvert végétal pour nourrir les sols, pour permettre d’obtenir les conditions favorables de replanter, soit naturellement, en général dans les pépinières ça se fait à 80%, soit en trouvant des sols appropriés pour qu’on n’en dégénère pas la qualité. On parle de garder 30% du couvert de la biomasse pour régénérer les forêts. Mais l’autre portion, comment peut-on la garder pour la création de la chaîne de valeur et l’utiliser pour trouver des nouvelles avenues rentables? Par exemple, à Saint-Félicien, ils se servent de la biomasse pour créer de l’énergie. Ce sont des chaufferies qui génèrent de l’électricité et qui sert à alimenter des infrastructures possédées par des entreprises. Il y a aussi de cette électricité qui est livrée directement à Hydro-Québec. De l’autre côté, il y a le réseau de chaleur, la cogénération que ça génère. Comment récupérer les énergies? Les coopératives forestières La Terrière et Petit Paris ont des projets de biomasse importants pour faire des chaufferies. Elles ont des activités principales et travaillent sur des activités secondaires: comment récupérer la biomasse disponible pour créer quelque chose à valeur ajoutée. On réussit, on a plusieurs exemples, on est capable. Peut-on aller plus loin? Certains parlent de pyrolyse, de production de biocarburant pour alimenter le nord pour certaines industries comme le camionnage. La science, l’innovation et l’expérimentation nous permettront de mieux connaître la fibre et d’être capables de développer des valeurs ajoutées. Mon ministère touche des centres de recherche, des pépinière, la plantation, la production, mais on peut travailler en complémentarité avec d’autres ministères. On va essayer que nos entreprises profitent de cette synergie.
En ce qui concerne le programme Essor créé pour favoriser l’achat de machinerie forestière, vous en êtes rendu où ? Est-ce dans votre agenda de le modifier, le mettre en place ou de l’améliorer?
On est à regarder l’ensemble des programmes. On travaille en partenariat avec Investissement Québec et le ministère de l’Économie parce que parfois c’est sous forme de crédits d’impôt pour de l’achat ou des projets d’amortissement. Donc, il y a différentes facettes. Je suis en train d’analyser ça. On est chanceux parce que, rapidement après l’annonce du premier ministre de créer le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, on a été capable de rajouter 42 M$ pour les travaux précommerciaux et commerciaux. Il ne faut pas oublier que notre ministère sera mis à contribution dans l’effort du gouvernement pour l’atteinte de l’équilibre budgétaire. Nécessairement, on travaille à revoir chacun des programmes, leurs visées, et s’il y a des projets dans le collimateur. On va continuer à investir dans la recherche de même que dans les programmes d’amélioration et de productivité. Pour ce genre de projets, il y aura de l’argent. On travaillera fort pour les atteindre. Je vais tenter avec tous les ministères que d’aller chercher le maximum d’argent autant pour la lutte aux changements climatiques pour le fonds vert. S’il y a de l’argent disponible pour les entreprises forestières, on va aller chercher le maximum.
Comment voyez-vous l’avenir des coopératives et des groupements forestiers?
C’est intéressant de constater qu’il existe des regroupements et des coopératives pour donner des services, ce qui confère au territoire québécois des avantages: d’avoir une vision plus large, d’avoir des services plus répandus, plus homogènes et de faire en sorte que quelqu’un tous les jours se préoccupe d’un bon aménagement écosystémique de la forêt. Que ce soit pour les entreprises privées ou les coopératives forestières issues de la forêt publique, chacun veut développer de l’expertise, de la connaissance et veut que la force du nombre favorise un meilleur service à l’ensemble de ses membres. Ils sont là pour rester. Ce sont des gens avec qui j’aime travailler comme l’ensemble des partenaires qui est bien représenté dans le domaine de la forêt. On a besoin des regroupements de tous les secteurs d’activités de la forêt pour faire en sorte que notre produit ne soit pas coûteux, perce les marchés et trouve preneur.
Comment percevez-vous la forêt privée?
La forêt privée est une forêt qui nous intéresse. On est ministre DES Forêts. Ça représente autant la forêt publique qui sert à alimenter la chaine d’approvisionnement dont le gouvernement est fiduciaire et l’aménagiste en chef que les autres comme les 130 000 propriétaires qui possèdent 10% de la forêt privée. Le message qu’on va envoyer est qu’il faut créer de la valeur dans les boisés en augmentant la charge en bois dans une forêt en santé et bien aménagée. Ou encore en créant des espaces fauniques intéressants puisqu’il y a beaucoup d’activités économiques liées à la chasse, au Québec. Traditionnellement, la valeur résiduelle des bois, de la fourniture des entreprises aux scieries, on vise toujours à atteindre cet objectif-là, simplifier les mécanismes pour s’assurer que lorsqu’une entreprise a besoin de bois à une scierie, que les mécanismes de mise en marché du bois puissent répondre efficacement à la demande faite par les scieries ou les papetières. Il y a eu plusieurs bonnes nouvelles pour les acteurs intervenant en forêt publique. C’est un premier pas qui a été grandement apprécié. Est ce que les travailleurs qui oeuvrent en forêt privée ainsi que les entreprises qui s’y approvisionnent sont en droit d’espérer un traitement équivalent? Oui. La forêt privée demeure un élément important pour le développement de l’industrie forestière au Québec. Des exemples concrets en témoignent. Pensons notamment au Règlement sur le remboursement des taxes foncières des producteurs forestiers reconnus, qui consiste en un crédit d’impôt qui équivaut à 85% du montant des taxes foncières (municipales et scolaires) d’une propriété forestière. De plus, il ne faut pas oublier que la loi elle-même accorde une importance particulière à la forêt privée. En effet, tel que le prévoit la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier à l’article 91 : «Les volumes annuels de bois qui peuvent être achetés par le bénéficiaire en application de sa garantie sont des volumes résiduels» c’est-à-dire que le bénéficiaire d’une garantie d’approvisionnement doit prioritairement s’approvisionner des bois en provenance de la forêt privée et ensuite il ira chercher le volume complémentaire dans les forêts du domaine de l’État.
Maintiendrez-vous les engagements financiers convenus lors du Rendez-vous de novembre dernier, notamment le maintien des investissements en forêt privée, notamment le 28,5 M$ du Programme de mise en valeur des forêts privées?
Oui.
Peut-on s’attendre à voir les engagements du Rendez-vous sur la forêt québécoise être bonifiés comme pour la forêt publique étant donné qu’elle représente désormais plus de 30% de la possibilité forestière du Québec?
Il est trop tôt pour parler de bonification. À la suite du Rendez-vous sur la forêt québécoise, un chantier sur l’efficacité des mesures en forêt privée a été lancé. Nous allons donc laisser Michel Belley, qui est le président du chantier, faire son travail et lorsqu’il aura déposé son rapport, nous allons évaluer les pistes d’améliorations potentielles.