Tordeuse: hausse prévisible, mais beaucoup d’inquiétude

Une des craintes, c’est que les peuplements qui ne sont pas prêts pour la récolte soient affectés par la tordeuse et viennent à en mourir. Comme pour la forêt publique, on aimerait que ceux-ci soient protégés par des arrosages comme le fait la SOPFIM pour ses membres.
Photo: Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs
D’après les plus récents relevés du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), les superficies touchées par la tordeuse des bourgeons de l’épinette (TBE) continuent d’augmenter. Une hausse prévisible, mais qui inquiète plusieurs propriétaires privés.
Marie-Claude BoileauLa Direction de la protection des forêts du MFFP effectue des relevés aériens pour surveiller les dommages causés par des ravageurs forestiers depuis 1967. La TBE fait partie de ces ravageurs. En 2015, cet insecte a laissé des traces sur 6 315 262 hectares contrairement à 4 276 065 hectares en 2014.
La Côte-Nord (3 754 605 ha), le Saguenay-Lac-Saint-Jean (1 055 931 ha) et le Bas-Saint-Laurent (894 562 ha) sont les régions où la progression est plus forte suivies par l’Abitibi-Témiscamingue (330 507 ha) et la GaspésieÎles- de-la-Madeleine (279 430 ha).
Inquiétude en forêt privée
«Il y a trois ans, on a commencé à observer la TBE dans la Matapédia. Depuis deux ans, on observe des défoliations assez sévères dans certains peuplements. C’est certain que les propriétaires sont inquiets de voir ça», confie ÉRIC L’ITALIEN, directeur général de la Société d’exploitation des ressources (SER) de la Vallée. Sur leur territoire d’intervention, soit environ 100 000 hectares, la superficie atteinte de défoliation représente près de 100% variant d’un niveau faible à élevé.
Du côté de la Société sylvicole (SS) Mistassini, on est également très préoccupé puisque plusieurs plantations matures ou en phase prématurité sont atteintes. M. L’Italien croit qu’il faudrait intervenir sur deux fronts. Dans un premier temps, il souhaite que le gouvernement mette en place une stratégie de prérécupération pour les peuplements les plus vulnérables ainsi que la récupération de ceux qui sont infestés par la TBE. Selon lui, cette action nécessitera un budget supplémentaire pour l’aménagement et l’ensemble des travaux de remise en production, et ce, pour les dix prochaines années. «Si on ne fait pas ça, c’est une perte économique parce qu’il faut récolter ce bois-là. Si on ne remet pas en production ces sites, on va créer une situation où l’on aura des forêts improductives et où ça va prendre plusieurs années avant de pouvoir récupérer ces terrains-là parce que les budgets actuels sont insuffisants. Le gouvernement doit investir», soutient-il.
Une de ses craintes, c’est que les peuplements qui ne sont pas prêts pour la récolte soient affectés par la tordeuse et viennent à en mourir. Comme pour la forêt publique, il aimerait que ceux-ci soient protégés par des arrosages comme le fait la SOPFIM pour ses membres. «Mais ça, on ne le retrouve pas en forêt privée. On devrait avoir un programme de protection comme celui en forêt publique», soutient-il.
Précisons que seuls les partenaires membres de la SOPFIM ont droit aux services de cet organisme. Certains grands propriétaires de lots boisés y contribuent et donc bénéficient d’arrosages contrairement à la petite forêt privée.
FRANCE FORTIN, président de la SS Mistassini, souhaite aussi une intervention du gouvernement pour soutenir les propriétaires privés et protéger les forêts privées. Dans leur cas, la question financière est préoccupante. Leur groupement forestier a vécu en 2011 un chablis affectant 800 hectares qui n’est pas reboisé et dont la préparation de terrain n’est pas encore terminée. «Avec la tordeuse, on arrive avec une catastrophe de 30 000 hectares touchés. Ça nous prendrait 1,5 M$ par année juste pour remettre en production les superficies qui pourraient être récupérées. Pour la SS Mistassini, c’est hors de nos moyens à l’intérieur des budgets actuels», informe-t-il.
La SS Mistassini a rencontré PHILIPPE COUILLARD, premier ministre et député de Roberval, pour lui exposer la situation. D’après M. Fortin, il s’est montré attentif. «Son équipe a pris les documents que nous lui avons présentés», précise- t-il.
Le groupement documente les ravages causés par la TBE afin de chiffrer les coûts pour la remise en production. Ils ont rencontré le Syndicat des producteurs de bois et ils collaborent avec leurs collègues du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie qui vivent la même chose. Tout comme le directeur général de la SER de la Vallée, M. Fortin aimerait aussi que la SOPFIM fasse de l’arrosage pour les plantations d’une dizaine ou vingtaine d’années afin qu’elles ne deviennent pas des pertes nettes.
«On sait qu’un producteur forestier a une durée de vie limitée. Si on recommence une production de 20 ans, il n’en verra jamais la couleur de son vivant. C’est la partie qui inquiète le plus les producteurs! Quand la plantation va être coupée, si on n’a pas de budget, elle va reprendre en friche et ça va coûter plus cher pour la remettre en production. Les rendements en forêt privée sont bons, le bois pousse rapidement. Au bout de 35 ans, on voit des rendements qui sont intéressants. Si on détruit les plantations de 20 ans touchées par la TBE, on est à 10-15 ans du but. C’est loin d’être rose pour certains producteurs», fait-il remarquer.
Le président de la SS Mistassini voudrait également que l’industrie forestière priorise le bois affecté par la tordeuse advenant une catastrophe que ce l’on appréhende. Il craint aussi pour les municipalités forestières qui perdraient leur bois et verraient une dévaluation des lots forestiers, ce qui pourrait influencer la valeur des propriétés.
PIERRE THERRIEN, entomologiste et porte-parole pour le MFFP sur la TBE, assure que la tordeuse est une préoccupation du ministère en forêt privée. La progression des superficies touchées est régulière et elle n’a rien de surprenant. D’après lui, il n’y a pas lieu de s’alarmer. Il tient à mentionner que ce ne sont pas tous les arbres à l’intérieur des superficies affectées qui vont mourir. «La tordeuse a un rôle écologique à jouer. C’est sûr qu’elle a tendance à faire mourir les arbres les plus âgés, ce qui permet de renouveler la forêt. Il ne faut pas regarder le portrait comme un gage de mortalité à 100% sur toutes les superficies que l’on présente. Les relevés servent à aider les gestionnaires à prendre des décisions par rapport à leur peuplement», indique-t-il.
Celui-ci indique que le ministère possède un plan d’action qui s’inscrit dans l’aménagement durable des forêts publiques, ce qui comprend aussi la forêt privée. Deux documents ont d’ailleurs été produits. Le premier s’intitule «L’épidémie de la TBE et mon boisé» et s’adresse aux propriétaires alors que le second est titré «L’aménagement forestier dans un contexte d’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette», un document plus étoffé de 96 pages.
Conseils
Selon l’entomologiste, lorsqu’un boisé est touché par la TBE, il faut dans un premier temps déterminer ce que le propriétaire veut faire avec son lot. «Si c’est destiné à l’exploitation commerciale, il y a des actions à prendre. Si c’est pour la biodiversité, il y en a d’autres. On doit regarder où l’on se situe par rapport à la distribution connue de l’épidémie de la TBE», explique-t-il. On peut alors se référer aux deux publications réalisées par le MFFP. M. Therrien indique que le ministère recommande pour les petites forêts privées de faire des récoltes préventives. Il indique qu’il peut se passer de 5 à 7 ans avant que la tordeuse entraîne la mort d’un arbre. S’il y a un risque qu’un peuplement meure à cause de la TBE, il suggère de récolter le bois avant que l’arbre ne meure et se détériore.