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Un regard aiguisé sur la crise

La réputation du directeur Économie et marchés au Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), Michel Vincent, n’est plus à faire. Ce bourreau de travail se veut un excellent vulgarisateur et ses paroles font presque office d’évangile dans le milieu forestier québécois. En plein confinement, ce dernier poursuit son travail à partir de son domicile. L’économiste a accepté de commenter pour nous la présente situation au meilleur de ses connaissances.

« Présentement nos marchés d’exportation traditionnels que sont New York, le Vermont, le New Jersey, la Pennsylvanie, le Michigan, de même que la région de Boston sont tous fermés », constate l’économiste.  « Évidemment, nous pouvons toujours aller porter notre bois plus loin, mais cette solution est plus compliquée et extrêmement coûteuse.  Ce n’est pas soutenable à long terme », continue-t-il.

Selon l’économiste, le secteur forestier est fortement ralenti présentement, mais cet arrêt n’est pas total.  Certaines productions, comme celle du bois d’œuvre, sont au point mort, mais le secteur des pâtes et papiers, par exemple, a été jugé essentiel par le gouvernement.  Or, ce type de production utilise des copeaux bois pour fonctionner. Le produit premier qui génère les résidus soit, la bille de bois elle-même, n’a présentement pas de débouché.  Pour MICHEL VINCENT, cette situation n’est pas viable. « S’il n’y a pas de sciage, il n’y aura pas de résidus du sciage », réfléchit-il tout haut.

« Avant la pandémie, notre production se répartissait à peu près de manière équivalente entre le Canada et les États-Unis. Avec la fermeture des chantiers qui s’en est suivie, la demande a chuté partout et le bois ne trouve pas preneur.

Capacité de production stable

Selon Michel Vincent, si de nombreux éléments influencent le prix du bois, l’offre et la demande demeurent les plus importants. Malgré la crise actuelle, la capacité de production en Amérique du Nord demeurera stable.  « Les prix sont, la plupart du temps, le reflet de l’offre et de la demande, mais ce n’est pas toujours le cas.  Dans le passé, il y a bien eu des exceptions comme en 2018, où les prix ont fluctué en raison d’un contexte particulier.  Il n’est pas non plus fréquent que le marché en soit un de vendeurs, mais ça demeure possible, car c’est déjà arrivé », analyse-t-il.

Situation embrouillée

Dans le contexte actuel, il est difficile pour Michel Vincent d’avancer des pronostics. L’économiste avoue humblement que la situation présente est très embrouillée.  « Nous n’avons présentement pas grand-chose pour accrocher nos prévisions.  C’est une situation totalement inédite. Nous savons que la demande a fortement diminué, mais nous ne savons pas encore à quel point.  Selon le portrait que nous avions en mars, les choses ne semblaient pas dramatiques. Nous en étions alors 1,2 million de mises chantier aux États-Unis », nous confie l’économiste, en ajoutant que de décembre à février dernier, les chiffres révélaient environ 1,5 million de mises en chantier.

Selon M. Vincent, s’il est si difficile de voir clair dans la situation, c’est en partie parce qu’une bonne partie du mois de mars s’est déroulé normalement. Le confinement et l’arrêt de l’économie ne sont survenus qu’à la mi-mars.  Il faudra donc patienter pour voir le portrait réel, puisque les chiffres d’avril ne seront connus qu’en mai.  Une chose est sûre, selon l’économiste, la demande aura diminué fortement.  « Nous attendons ces chiffres avec impatience, mais nous savons que certains très gros joueurs dans l’Ouest canadien ont dû stopper leurs activités. Le fait que des entreprises comme  Fraser West Timber et Canfor aient mis la pédale douce est très révélateur, soutient-il. Nous avons assisté à une diminution importante depuis un mois. Il est beaucoup trop tôt pour porter un jugement et considérer si ce sera notre nouvelle réalité.  Le marché est un peu émotif en ce moment et les choses risquent d’évoluer passablement avant de se stabiliser.

Actions des gouvernements

Vincent constate que le gouvernement fédéral de Justin Trudeau fait très bien son boulot présentement en aidant, à des niveaux jamais vus, les contribuables et les entreprises. L’économiste se réjouissait également de voir que le gouvernement Legault avait récemment autorisé la reprise de la construction résidentielle. Il n’avait d’ailleurs que de bons mots pour le gouvernement provincial avec lequel les discussions sont franches et ouvertes. « Ils sont au courant de notre situation et ils y sont très sensibles.  Depuis une dizaine d’années, il y a eu de gros efforts de promotion pour l’utilisation du bois dans la construction qui ont été faits.  Nous avons réalisé des pas de géant.   C’est toutefois un travail de longue haleine et ça n’aura pas un effet immédiat à la reprise.  Selon Michel Vincent, il est important de poursuivre les efforts dans le futur. « Il faut que les ingénieurs et les architectes achètent l’idée de construire davantage en bois.  Les gens de CECOBOIS font d’ailleurs de l’excellent travail pour les sensibiliser et peuvent être de précieux conseillers techniques.  Le Québec s’oriente vers la 2e transformation du bois depuis un moment et c’est ce qui nous distingue.  Présentement, l’industrie du sciage constitue véritablement la porte d’entrée du bois rond dans le système. Environ 97% de la récolte est faite par les scieurs, c’est vraiment très important », considère Michel Vincent.
Forêt privée

« Le gouvernement connaît nos doléances depuis longtemps, mais nous comprenons que la priorité présente est évidemment la santé publique.  C’est tout ce qui compte pour l’instant » considère l’économiste qui croit aussi que l’occasion sera belle, quand les choses se calmeront, pour réévaluer le régime forestier.  « Il faudra cependant se rasseoir avec le Ministère, car le régime forestier actuel n’est pas parfait, il est perfectible », admet-il.  Après sept ans d’expérience avec ce dernier, il sera important de corriger le tir. La reprise constituera une très belle occasion de le faire, quand elle s’amorcera.  Selon l’économiste, il sera important d’inclure les représentants de la forêt privée dans les discussions. « Nous ne nous passons pas l’un de l’autre et nous désirons tous ce qui est le mieux pour le milieu forestier », plaide-t-il.

Que restera-t-il après la crise ?

Michel Vincent maintient que l’industrie forestière québécoise se doit d’être compétitive.  « Il faut que le prix du bois qui est payé représente son coût réel.  Nous désirons payer au gouvernement le juste prix pour le bois.  Nous ne voulons pas qu’il nous le donne », insiste-t-il.

Il n’ose pas s’avancer sur le nombre d’entreprises qui pourraient être emportées par la crise.  « Il y en aura c’est certain, mais ça ne sera toutefois pas une question de taille. Chaque entreprise a ses problèmes.  Il faut avouer qu’il n’y en a pas beaucoup qui étaient en bonne situation financière avant la crise de la Covid-19 ».

Pour le meilleur et pour le pire, l’industrie forestière est maintenant très intégrée. Tous les maillons dépendent les uns des autres et tout le monde risque de souffrir si certains joueurs disparaissent ou doivent se restructurer.  Une usine de panneaux dépend d’un approvisionnement à bon prix pour fonctionner. Des entreprises compétitrices collaborent, pour construire des chemins forestiers et pour les entretenir.  Tout le monde y gagne.  Désormais quand nous récoltons du bois à un endroit, nous tâchons de nous concerter et de faire en sorte que cela en vaille la peine.  Inutile d’aller récolter cinq fois au même endroit pour différents usages.  Ce que nous pouvons faire de mieux présentement, c’est de travailler à réduire nos coûts.  Les partenariats nous renforcissent. C’est ainsi que l’on va s’en sortir.  Nous sommes tous dans le même bateau », conclut Michel Vincent.
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