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Y croire et investir pour maintenir la capacité de production des forêts

Si vous suivez l’actualité politique, vous savez que le gouvernement du Québec était en consultation en janvier pour l’aider à faire les bons choix dans la production de son budget 2024-2025. L’Association des entrepreneurs en travaux sylvicoles du Québec (AETSQ) et la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF) ont joint leurs forces pour présenter un mémoire au ministre des Finances afin de le sensibiliser quant à l’importance d’investir dans l’aménagement des forêts pour consolider l’occupation du territoire et augmenter leur contribution à la lutte aux changements climatiques. Je vous partage donc, ici, les demandes qui lui ont été soumises.
 
Présentation du sous-secteur des travaux sylvicoles non commerciaux
Les travaux sylvicoles non commerciaux incluent toutes les activités forestières de remise en production de la forêt : la préparation de terrain, la plantation d’arbres et les travaux d’entretien de la forêt. Ce sous-secteur de l’aménagement forestier revêt une grande importance pour le Québec et cela se confirme davantage lorsqu’on le regarde sous l’angle des chaînes de valeurs. En effet, il s’agit d’un maillon de l’activité forestière indispensable pour assurer un approvisionnement à l’industrie de la transformation du bois. Si ce premier maillon est fragilisé ou brisé, c’est l’ensemble de la chaîne de valeur qui en souffre et qui pourra ultimement être menacé. Bref, à partir du moment où on néglige la réalisation de travaux sylvicoles, les usines de sciage et les papetières s’en trouveront directement affectées, impliquant d’énormes conséquences sur l’économie de nombreuses régions. En effet, selon une étude économique du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs de 2019, la forêt génère des retombées économiques dans au moins 902 municipalités, soit 83 % des municipalités du Québec. Elle constitue un pilier économique important pour 152 municipalités québécoises, soit une proportion de 14 %, c'est-à-dire que ce secteur regroupe 10 % et plus des emplois totaux. Enfin, pour 5,5 % des municipalités, le secteur forestier représente 20 % et plus des emplois totaux, ce qui se rapproche d’un contexte dit mono-industriel.
 
Impacts des feux de forêt de 2023
Les feux de forêt de 2023 ont été dévastateurs pour le Québec. Selon les données présentées par le Forestier en chef, plus de 1,3 million d’hectares ont été affectés par les feux, à des degrés variables, sous la limite territoriale des forêts attribuables. Ceci équivaut à 3,2 % de la superficie totale des 57 unités d’aménagement au Québec. En ce qui a trait à la superficie destinée à l’aménagement forestier, soit celle considérée au calcul des possibilités forestières, près de 920 000 hectares ont été affectés, et ce, principalement dans les régions du Nord-du-Québec, de l’Abitibi-Témiscamingue, du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de la Mauricie et de la Côte-Nord.
 
Selon les prévisions du Forestier en chef, 143 400 hectares ayant été affectés par les feux seront en échec de régénération, c’est-à-dire qui ne reviendront pas sous forme de forêt sans l’aide du reboisement. De plus, 205 600 hectares présenteront une régénération moindre et auront besoin d’activités sylvicoles pour leur permettre de se régénérer adéquatement. 
 
Lors de la mise à jour économique de novembre dernier, 200 millions de dollars additionnels sur 8 ans ont été annoncés pour accélérer le reboisement. Selon les estimations du ministère des Ressources naturelles et des Forêts, ce montant devrait permettre de produire 5 millions de plants supplémentaires par année et de reboiser et entretenir 25 000 hectares en échec de régénération, c’est-à-dire moins de 18 % de ce dont nous aurions besoin.
 
Dans un premier temps, par prudence et dans un souci de pérennité de la ressource, le Forestier en chef a recommandé à la ministre des Ressources naturelles et des Forêts de modifier les possibilités forestières 2023-2028 pour 11 unités d’aménagement, à compter du 1er avril 2024, afin de refléter l’impact des feux de forêt de 2023. Cette recommandation réduirait les possibilités forestières de 521 200 m³ bruts/an dans la région du Nord-du-Québec, de 88 700 m³ bruts/an en Abitibi-Témiscamingue et de 9 500 m³ bruts/an en Mauricie. Si la ministre applique la recommandation du Forestier en chef, cela pourrait représenter une perte de revenus pour l’état de plus de 135 M$ annuellement. En effet, selon une étude économique de PricewaterhouseCoopers de 2021, chaque mètre cube de bois récolté et transformé représente environ 219 $ de revenu pour l’État (impôt sur le salaire et les entreprises, parafiscalité, revenus de taxation et droits de coupe et redevances).
 
Dans un deuxième temps, le Forestier en chef estime que plusieurs informations seront nécessaires en vue de compléter ses analyses pour terminer la mise à jour des possibilités forestières pour la période, notamment la stratégie sylvicole retenue pour la remise en production de la superficie affectée par les feux incluant l’envergure, la durée du plan de remise en production et son financement. Cette stratégie sylvicole devra également comporter des mesures d’adaptation aux changements climatiques.
 
Retard en éducation de peuplement
De surcroît, avant les feux de forêt de 2023, le Québec présentait déjà du retard en éducation de peuplement. Le Forestier en chef avait avoué l’an dernier avoir dû revoir le rendement de plusieurs plantations à la baisse, n’ayant pas reçu l’entretien nécessaire. Le Québec investissait donc dans la plantation d’arbres, mais n’avait pas les fonds suffisants pour entretenir les superficies reboisées.
 
Dans notre mémoire présenté l’an dernier en consultation prébudgétaire, nous avions soulevé ce problème et avions recommandé la réalisation d’une analyse d’écart afin de bien mesurer la quantité de travaux non réalisés et d’élaborer un plan de redressement qui serait rapidement mis en œuvre. Malheureusement, cela n’a pas été fait.
 
Recommandations pour maintenir la capacité de productivité des forêts
En conséquence, seulement pour maintenir la capacité productive de nos forêts, un énorme chantier sylvicole devra être mis en place. Nous avons donc jugé à propos de demander au gouvernement de :
  • Investir 944 M$ supplémentaires sur 10 ans (118 000 ha x 200 M$ / 25 000 ha) pour remettre en production les 143 000 hectares ayant été affectés par les feux et qui seront en échec de régénération ;
  • Évaluer les travaux sylvicoles qui seront nécessaires pour assurer un rendement forestier intéressant aux 205 600 hectares qui présenteront une régénération moindre et en assurer le financement ;
  • Réaliser une analyse d’écart afin de bien mesurer le retard accumulé en éducation de peuplement, élaborer un plan de redressement et en assurer le financement.
 
L’investissement en sylviculture est un moyen concret pour répondre à de multiples besoins à l’égard de l’environnement.  Les effets de nos décisions en foresterie ne pouvant se voir qu’après un certain temps en forêt, il faut se demander quel héritage nous souhaitons laisser aux prochaines générations. Pour notre part, nous souhaitons léguer des territoires forestiers aménagés de façon soutenue, capables de contribuer à l’activité économique des régions ainsi qu’à la lutte aux changements climatiques.
 
Les forêts permettent de stocker de manière permanente le CO₂ présent dans l’atmosphère et peuvent être considérées comme des sources d’émissions négatives. Ainsi, la restauration du couvert forestier, l’aménagement forestier et l’utilisation optimale du matériau de bois dans la construction sont des solutions afin de lutter efficacement contre les changements climatiques.
 
Nous espérons que le gouvernement verra tout comme nous l’investissement supplémentaire de 944 M$ en sylviculture sur 10 ans, ainsi que les autres investissements demandés, comme un placement pour l’environnement, pour l’occupation dynamique des régions et pour la santé globale de la population et des générations futures.
 
Réflexion sur l’avenir de la forêt et initiative de l’OIFQ
Le 17 novembre 2023, la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette-Vézina, a annoncé la tenue d’une vaste consultation sur l’avenir de la forêt, répondant ainsi à la recommandation du Forestier en chef d’entreprendre une réflexion globale sur l’aménagement de la forêt. Les travaux des Tables de réflexion sur l’avenir de la forêt se dérouleront dans les différentes régions forestières du Québec en février et en mars 2024. Ces consultations devraient permettre d’élaborer une vision d’avenir partagée entre les divers intervenants et d’identifier des solutions d’adaptation, notamment aux changements climatiques, pour assurer la pérennité du secteur forestier. La ministre compte déposer son rapport des consultations au début du mois de juin, ce qui signifie que le calendrier sera très serré pour parvenir à un consensus entre les partenaires.
 
En marge de cette réflexion, l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec (OIFQ) a pris l’initiative de réunir les partenaires du secteur forestier et d’entreprendre une consultation préalable dans le but de parvenir à identifier un consensus sur les problèmes du régime forestier actuel et les attentes des organisations. La Fédération participe à cette démarche et nous sommes enchantés de constater que, malgré la grande diversité des acteurs présents, il est possible de s’entendre sur de grandes pistes de solution qui répondraient aux principaux enjeux des partenaires du secteur. Nous avons donc bon espoir qu’en dépit des délais très ambitieux imposés par la ministre, nous serons en mesure de proposer certaines pistes de solution concertées auxquelles la majorité des partenaires adhèrent. Madame la ministre, nous sommes prêts!
 
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